Convention 1758 roi France Empire troupes saxonnes

Le prince Xavier de Saxe et le corps de troupes saxonnes au service de la France durant la guerre de Sept Ans

Entretien avec Théo Mérand, archiviste paléographe (prom. 2024), auteur d’une thèse d’École des chartes intitulée : « Bien servir aux deux grands roys » ? Le prince Xavier de Saxe et le corps de troupes saxonnes au service de la France durant la guerre de Sept Ans (1758-1763). Son travail a été dirigé par M. Olivier Poncet, professeur d’archivistique, de diplomatique et d’histoire des institutions de l’époque moderne à l’École nationale des chartes (ENC), et M. Olivier Chaline, professeur d’histoire moderne à Sorbonne Université. Propos recueillis par Aurore Elgamal, élève archiviste paléographe en troisième année.1


Comment en es-tu venu à travailler sur ce sujet ?

Après mes trois années de classe préparatoire, j’avais soumis à Olivier Chaline un projet de recherche sur la coopération militaire entre la France et les Habsbourg lors de ma candidature en master. Il m’avait orienté vers le fonds de Saxe conservé à Troyes. Ayant intégré l’école des Chartes, j’ai approfondi l’analyse de ce fonds, qui avait été relativement peu exploité, et ai transformé ce projet de recherche en sujet de thèse d’école sous la direction d’Olivier Poncet. Le fonds est d’une exceptionnelle richesse et peu d’études lui ont été consacrées, il a surtout été étudié pour la partie postérieure à la guerre de Sept Ans. Comme je suis très intéressé par l’histoire militaire, je savais que je voulais étudier un sujet qui croiserait histoire militaire, diplomatique et politique. Olivier Chaline m’a proposé soit d’orienter le sujet vers l’étude du corps saxon dans son organisation interne, soit de l’étudier à travers les rôles de la Saxe, de la France et de l’Autriche en lien avec ce corps saxon. J’ai choisi la deuxième direction. Dans le monde germanique, de la guerre de Trente Ans à Napoléon, la subordination d’une armée d’un petit état à un état plus grand est une pratique courante, souvent au service de l’Empereur, parfois au service des Provinces-Unies. En France, en revanche, ce n’est pas du tout habituel hormis pendant la guerre de Sept Ans où notamment les troupes saxonnes et celles du duc de Wurtemberg sont intégrées à l’armée française. L’intérêt de ce sujet est donc également d’étudier la participation de la France à ce modèle, contre lequel elle a plus lutté qu’elle n’y a participé.

Peux-tu revenir brièvement sur l’historiographie concernant ton sujet ?

L’histoire militaire a un temps été délaissée notamment sous l’influence de l’école des Annales. Elle est revenue en grâce par les travaux d’André Corvisier puis plus tard ceux, entre autres, d’Hervé Drévillon et d’Olivier Chaline. En ce qui concerne la guerre de Sept Ans, il existe deux principales synthèses françaises : celle de Waddington qui date du début du vingtième siècle, et celle, récente, d’Edmond Dziembowski. Il y a eu de nombreux travaux sur des points précis de la guerre, tels que la bataille de Rossbach. Pendant longtemps, l’histoire de la guerre de Sept Ans en Europe était écrasée par la figure de Frédéric II, depuis quelques décennies des aspects plus diversifiés concernant les armées notamment sont davantage étudiés. Concernant plus précisément le sujet de ma thèse d’École des chartes, celui-ci avait déjà fait l’objet de quelques travaux allemands, qui ne s’étaient cependant appuyés que sur les sources éditées et celles conservées à Dresde.

Le principal fonds d’archives que tu as utilisé est le fonds de Saxe, pourrais-tu nous parler de l’origine et de la composition de ce fonds ?

Ce fonds est aujourd’hui conservé à Troyes, il est issu des archives privées du prince François-Xavier de Saxe, deuxième fils du roi de Pologne et frère de Marie-Josèphe de Saxe, l’épouse du Dauphin, fils de Louis XV. C’est donc également l’oncle de Louis XVI et de ses frères. Il a vécu en France, en Champagne, des années 1770 à 1791, et a possédé deux châteaux successifs, ceux de Chaumot  et Pont-sur-Seine. Pendant la Révolution, il a émigré avec sa famille, en laissant ses biens, ses terres, son château, ses œuvres d’art, sa bibliothèque et ses archives. Ses biens ont été saisies et ses papiers versés aux archives départementales. Les archivistes se sont par la suite rendu compte de la richesse du fonds. Au tournant des XIXème et XXème siècles, l’archiviste du département, Jules Joseph Vernier a demandé l’appui du ministère de la Guerre pour traiter le fonds. Le ministère a envoyé cinq officiers germanophones afin de traiter la première section du fonds concernant la guerre de Sept Ans. Le fonds a donc été classé et un inventaire détaillé de plus de mille pages a été publié entre 1904 et 1910.

Le fonds est composé de neuf sections, il existait auparavant une autre section consacrée à sa régence en Saxe, versée à Dresde sous le Second Empire. C’est un fonds privé, qui mélange par conséquent des archives privées au sens strict et des archives qui seraient aujourd’hui considérées comme des archives publiques. La première section, consacrée à la guerre de Sept Ans, est la plus importante : elle représente environ la moitié du fonds. La deuxième section est composée de sa correspondance privée avec un grand nombre de correspondants soit environ 50 000 lettres. Le reste du fonds est composé d’archives sur la Pologne, ses voyages, ses finances, son éducation, ses propriétés et ses biens, ainsi que l’histoire des deux propriétés champenoises qu’il possédait. Les deux thèses déjà réalisées avec les archives du fonds de Saxe concernaient les biens et propriétés ainsi que l’éducation de ses fils.

Dans ce fonds, quelles sources as-tu utilisées ?

Comme je m’intéressais à la guerre de Sept Ans, j’ai utilisé les archives de la première section. On y trouve autour de quatre-vingt  journaux de campagne ou relations de batailles et pas uniquement celles auxquelles le prince a assisté puisqu’on y trouve également celles ayant eu lieu en Silésie, en Saxe ou dans le Brandebourg. Deux des frères du prince de Saxe, dont l’un était à Dresde et l’autre dans l’armée russe, ont tenu des journaux, des officiers saxons ou d’autres agents dans des villes ont également tenu des journaux qui étaient envoyés au prince. On y trouve également la correspondance militaire du prince, avec un grand nombre de correspondants, certains avec lesquels la correspondance était très ponctuelle et d’autres avec lesquels elle était régulière et les lettres nombreuses. On y trouve enfin des documents administratifs, des ordres donnés et des rapports reçus, de la correspondance, des listes de soldats, de déserteurs ou de malades, ainsi que des documents préparatoires à certaines négociations.

J’ai plus particulièrement utilisé la correspondance du prince avec les hautes autorités : les souverains lorsque les lettres existaient, le premier ministre du roi de Pologne, les secrétaires d’Etat français à la Guerre et aux Affaires étrangères, l’ambassadeur de Saxe à Versailles et parfois à Vienne, la correspondance du prince avec le maréchal de Broglie auquel le prince était directement subordonné à partir de 1760. Les lettres concernent surtout les années 1760 et 1761. J’ai aussi exploité la correspondance du prince avec les autres maréchaux qui commandaient les armées françaises en Allemagne, ainsi que des journaux de campagne et relations des principales batailles auxquelles les Saxons ont participé, sachant que les journaux de campagne n’avaient pas tous le même intérêt pour mon sujet : pour l’année 1758, je disposais du journal du prince ce qui me permet d’avoir une vision de son activité même lorsqu’il n’est pas à l’armée, alors que pour 1760-1761 les documents concernaient davantage l’ensemble de la réserve.

Composition troupes saxonnes, Service Historique Défense
Composition théorique du corps de troupes saxonnes en 1758, Service Historique de la Défense, cote Gr Ya 512, crédits Théo Mérand.

Quelles autres sources as-tu utilisées, hormis le fonds de Saxe ?

Comme je travaillais sur les relations entre la Saxe, l’Autriche et la France, j’avais besoin de consulter également des sources françaises, notamment sur la période précédant 1758, date à laquelle les troupes saxonnes entrent au service de la France et à laquelle le prince de Saxe prend la direction du corps. Comme la majorité des archives du fonds de Saxe sont postérieures à 1758, pour la période antérieure je me suis appuyé notamment sur des archives conservées aux Archives diplomatiques concernant la période de novembre 1757 à mars 1758. On ne possède que la correspondance entre les ministres français et l’ambassadeur de Saxe en France puisque l’ambassadeur de France à Dresde est chassé lorsque la Saxe est occupée par les Prussiens.

J’ai également consulté le dossier relatif aux troupes saxonnes et aux autres armées allemandes au Service Historique de la Défense, qui conserve également les archives relatives au traitement du fonds de Saxe à la fin du XIXème siècle.

As-tu rencontré des difficultés relatives à tes recherches ?

La principale difficulté a été de sélectionner les sources et de déterminer lesquelles consulter en priorité. Ensuite, j’ai eu de la chance car la majorité des documents que je devais consulter étaient en français, donc je n’ai pas eu trop de problèmes en termes de paléographie même si les passages en allemand étaient moins faciles à lire car la paléographie allemande est différente.

Peux-tu nous parler du prince de Saxe, personnage central de tes recherches, et des troupes saxonnes qu’il commande ?

François Xavier de Saxe est le second fils de l’électeur de Saxe et roi de Pologne. Il est donc le fils d’Auguste III et le petit-fils d’Auguste le Fort. Il est également le frère aîné de Marie-Josèphe de Saxe qui a épousé le dauphin Louis. Les deux sont très proches, et pendant la guerre de Sept Ans, Marie-Josèphe est un relais des Saxons en France. Le prince est né en 1730 et a été éduqué à Dresde. Il commence sa vie publique pendant la guerre de Sept Ans. Il accompagne d’abord son frère dans l’armée autrichienne puis demande en 1758 à pouvoir participer aux campagnes militaires dans l’armée française. Les Français ne veulent pas tout de suite de lui, donc il rejoint la France après plusieurs mois de voyage. Durant le premier semestre 1758, les troupes saxonnes qui étaient en Hongrie remontent le Danube puis se joignent au début du mois de septembre à l’armée française : à ce moment-là, le corps saxon est confié au prince de Saxe.

Après avoir commandé le corps saxon en 1758 et 1759, il est promu en 1760, le maréchal de Broglie lui confie la réserve de la droite, composée pour moitié de troupes saxonnes et pour moitié de troupes de cavalerie et d’artillerie françaises. Il participe aux campagnes avec l’armée française jusqu’en 1762. Lorsque son père et son frère aîné décèdent en 1763, l’électorat de Saxe échoit à son neveu, mais celui-ci n’ayant que treize ans, le prince de Saxe assure la régence. Il voudrait investir dans l’armée saxonne, mais d’autres administrateurs considèrent qu’il ne faudrait pas trop dépenser dans l’armée. Après un mariage morganatique avec une suivante de sa belle-sœur, il quitte Dresde avec son épouse et ses enfants, passe quelques années en Italie dont est originaire son épouse puis vient en France. Il retourne servir sous les ordres du maréchal de Broglie pendant la guerre d’Indépendance américaine puis achète un régiment de hussards, avant de quitter la France au moment de la Révolution puis de mourir en Saxe en 1806.

L’histoire du prince et celle des troupes saxonnes ne sont pas liées initialement. Après le siège et la défaite des troupes saxonnes près de Dresde, l’armée saxonne doit capituler. Les officiers signent une déclaration pour rester libres à condition de s’engager à ne pas servir contre le roi de Prusse. Les soldats, eux, sont intégrés dans l’armée prussienne mais beaucoup ne le veulent pas et désertent. La cour de Saxe les y encourage et envoie des officiers dans les villes proches de l’électorat afin de récupérer ses soldats. Cela permet aux Saxons de reformer une armée mais ils manquent de financements. Ils sont d’abord financés par l’Autriche, puis à partir de mars 1758, par la France, jusqu’en 1762. Le fait de prendre en charge les troupes saxonnes permet aux Français de justifier le fait qu’ils récupèrent une partie des revenus perçus sur les pays conquis.

Mousquetaire des troupes saxonnes, BnF
Mousquetaire du régiment d’infanterie saxon Prinz Xaver dans l’uniforme porté entre 1733 et 1763. [Illustration extrait de Muller (Charles Louis), Darstellung der Uniformen der Churfürstlich sächsischen königlich polnischen Armee, 1733-1765, [S.l.n.d], exemplaire conservé à la BNF, site Richelieu. Le dessin porte la légende en allemand ci-contre : “Musketier v. Infanterie Regt Prinz Xaver 1733-1763”].

Quelles sont les relations entre les Français, les Saxons et les Autrichiens ?

Les Saxons ont des hommes et la volonté de rester dans le conflit, mais ils n’ont les ressources financières ni pour les entretenir ni les équiper. Ils ont donc besoin d’alliés, rôle qui est finalement assumé par la France. La dauphine joue en ce sens de son influence auprès de la diplomatie saxonne. Les obligations de chacune des parties sont redéfinies dans un traité signé chaque année. Des questions se posent telles que la subordination ou non des Saxons aux Français à grade égal. Il existe des tensions entre soldats saxons et français. Malgré cela, ils ont réussi à combattre ensemble jusqu’à la fin de la guerre. Les Français jouent aussi un rôle d’intermédiaire entre les Saxons et les autres nations notamment concernant la libération de prisonniers de guerre.

L’intérêt du sujet était donc aussi de devoir toujours naviguer entre les discussions de haut niveau politique et diplomatique, et la gestion logistique du quotidien – au sujet des questions d’alimentation par exemple – qui diffère sur certains points entre soldats saxons et français.

Quelles sont tes perspectives pour la suite, en recherche comme sur le plan professionnel ?

Je prépare le concours de l’INP en spécialité archives (depuis la réalisation de l’entretien, Théo a été reçu au concours de l’INP). J’ai beaucoup aimé mon sujet et la recherche, je pense que je continuerai très certainement sur la guerre de Sept Ans et sur le fonds de Saxe. Je sais que certains points de mon sujet pourraient être précisés et qu’il y a aussi beaucoup d’autres choses intéressantes à exploiter dans le fonds de Saxe. Je compte poursuivre mes recherches en doctorat.


Bibliographie indicative

– Dziembowski (Edmond), La guerre de Sept Ans, Paris, France, 2015.
– Grosse (Otto), Prinz Xaver von Sachsen und das sächsische Korps bei der französischen Armee 1758-1763, Inaugural Dissertation, Leipzig, 1907.
– Salisch (Marcus von), Treue Deserteure, das kursächsische Militär und der Siebenjährige Krieg, thèse de doct., München, R. Oldenbourg, 2009.
 – Szabo (Franz A. J.), The Seven Years War in Europe, 1756-1763, 1re éd., Harlow New York, 2008 (Modern wars in perspective).
 – Waddington (Richard), Louis XV et le renversement des alliances, préliminaires de la Guerre de sept ans, 1754-1756, 1 t., Paris, 1896 ; La guerre de sept ans, histoire diplomatique et militaire, 5 t., Paris, France, 1899.
-Wilson (Peter Hamish), German armies, war and German politics, 1648-1806, London, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, 1998.

Les positions des thèses d’école des chartes soutenues en 2024 sont consultables au format papier et en ligne. Le dépôt des thèses et leur diffusion, en format électronique ou papier, se fait à la discrétion de leurs auteurs·ices.

  1. Image mise en avant : Convention entre le roi de France et l’Impératrice-Reine pour les troupes saxonnes, 1758, Service Historique de la Défense, cote Gr Ya 512, crédits Théo Mérand. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Giulia Ceccarelli (3 février 2025). Le prince Xavier de Saxe et le corps de troupes saxonnes au service de la France durant la guerre de Sept Ans. Chroniques chartistes. Consulté le 29 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/139vc


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